Urbanité et Transformation de L’espace dans L'Effacement de Samir Toumi
Автор: Mériem B.
Журнал: Science, Education and Innovations in the Context of Modern Problems @imcra
Статья в выпуске: 4 vol.8, 2025 года.
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Dans L'Effacement, Samir Toumi fait d’Alger un espace central dans la quête identitaire du protagoniste. La ville, marquée par la colonisation et la guerre d’indépendance, reflète les tensions identitaires de l’Algérie contemporaine. Le protagoniste se perd dans ses rues avant de découvrir des lieux symbolisant une possible renaissance. Alger devient une métaphore des processus de mémoire, d’oppression et de réinvention personnelle. L’article analyse comment Toumi transforme l’espace urbain en un lieu de douleur, mais aussi de transformation. La réconciliation avec le passé apparaît alors comme essentielle à la reconstruction identitaire.
Espace, Urbain, Transformation, Quête identitaire, La ville
Короткий адрес: https://sciup.org/16010619
IDR: 16010619 | DOI: 10.56334/sei/8.4.58
Текст научной статьи Urbanité et Transformation de L’espace dans L'Effacement de Samir Toumi
La littérature algérienne d'expression française occupe une place singulière dans le panorama littéraire mondial. En effet, elle offre une réflexion approfondie sur l'histoire, l'identité et les transformations sociales de l'Algérie. Depuis l'indépendance, les écrivains algériens utilisent la langue française pour explorer les répercussions du colonialisme, les blessures de la guerre civile et les défis imposés par la modernité. Dans ce contexte, Alger, capitale historique et politique du pays, revêt une importance particulière. En tant qu’espace physique et symbolique, l’urbanité a toujours été au centre des récits sur l’Algérie contemporaine. Ainsi, les écrivains interrogent souvent la manière dont les transformations urbaines – qu'il s'agisse de la rénovation des infrastructures, de la dégradation des quartiers ou de l’émergence d’une modernité contrastée – influencent les identités individuelles et collectives.
D’une part, Alger, avec ses contradictions, ses cicatrices de guerre et ses espoirs de renouveau, incarne les tensions entre passé et avenir, entre mémoire et effacement. D’autre part, la ville prend l’allure d’un protagoniste des récits littéraires,où l’espace urbain reflète les bouleversements politiques et sociaux. À travers des œuvres comme celles de Maïssa Bey, Yasmina Khadra ou encore Samir Toumi, Alger est représentée non seulement comme un lieu géographique, mais aussi comme un miroir des crises intérieures vécues par les personnages.
Dans cette perspective, L’Effacement de Samir Toumi propose une représentation intime et introspective de la relation entre l’espace urbain et l’identité. Le roman met en scène un narrateur anonyme, en proie à une crise existentielle profonde dans une Alger en mutation. La ville, loin d’être un simple décor, joue un rôle central dans le processus d’effacement identitaire du protagoniste. Samir Toumi dépeint une ville marquée par des transformations architecturales et sociétales, qui, tout comme le narrateur semble oscillante entre deux mondes : celui du passé, figé dans la mémoire historique et les stigmates de la guerre, et celui du futur, incarné par des aspirations à la modernité.
Alger, dans L’Effacement, apparaît comme une ville fragmentée, où l’ancien et le nouveau coexistent de manière souvent chaotique. Cette fragmentation spatiale reflète la décomposition intérieure du narrateur, perdu dans son propre environnement. Les rues désorganisées, les bâtiments délabrés et les quartiers en reconstruction incarnent ainsi son effacement personnel. Toutefois, à mesure que le protagoniste parcourt cette ville tourmentée, il découvre également des espaces de réinvention, où la possibilité d’un renouveau identitaire se profile. Ainsi, la ville devient un double miroir, à la fois de la désintégration et de la reconstruction de soi.
La question centrale de cet article est donc de comprendre comment l'espace urbain, en particulier la ville d'Alger, reflète et amplifie l’effacement personnel du narrateur. Plus précisément, en quoi la fragmentation et la transformation de cet espace deviennent des symboles de la désintégration identitaire ? Et, à l'inverse, comment certains lieux urbains offrent des espaces de résistance et de réinvention, permettant au narrateur d’envisager une reconstruction de soi dans un cadre urbain instable ?
Pour répondre à cette problématique, plusieurs hypothèses peuvent être avancées ; la fragmentation de l'espace urbain dans L’Effacement symboliserait l’effacement progressif de l'identité du narrateur. Les transformations chaotiques d'Alger, où les anciens bâtiments côtoient des constructions modernes inachevées, reflèteraient la confusion intérieure du personnage et son incapacité à se situer dans une société en transition.
Aussi, Alger, en tant que lieu chargé d’Histoire, représenterait un poids que le narrateur peine à porter. La mémoire collective – colonisation, guerre d’indépendance, guerre civile – exacerberait son sentiment d’effacement, l’empêchant de se définir dans le présent. Cette mémoire urbaine oppressante alimente l’aliénation du personnage.
Enfin, certains espaces urbains offriraient au narrateur des moments de répit et des opportunités de se réinventer. Ces lieux, ouverts et symboliques d'une évasion possible, constituent des espaces de résistance à l’effacement identitaire, laissant entrevoir une réconciliation avec soi et la ville.
L'objectif de cet article est d’analyser l’espace urbain, en particulier la ville d’Alger dans L’Effacement de Samir Toumi, qui devient un acteur central dans la construction et la déconstruction de l’identité du narrateur. Il s'agit de montrer que la transformation de la ville, marquée par l’histoire et la modernité, reflète et amplifie l’effacement personnel, tout en offrant des possibilités de réinvention et de résistance identitaire.
L’intérêt croissant pour la manière dont la littérature algérienne contemporaine d’expression française traite la relation entre l’individu et l’espace urbain, dans un contexte de mutations sociétales profondes, motive le choix de ce sujet. L’Effacement, en tant qu'œuvre introspective, ancrée dans une ville en perpétuelle métamorphose, se prête particulièrement à cette réflexion.
Pour aborder cette question, l’approche adoptée sera une analyse textuelle approfondie des descriptions spatiales et des interactions entre le narrateur et son environnement urbain. Cette étude s'appuiera également sur une perspective interdisciplinaire, mêlant critique littéraire et étude des espaces urbains, afin de comprendre comment la ville devient un miroir des crises identitaires personnelles et collectives.
1. L'effacement de l'individu à travers l'espace urbain
Dans L'Effacement, le protagoniste anonyme se trouve confronté à une ville en mutation, tout comme son propre moi. Dès les premières pages, il exprime un sentiment de dissolution dans cet espace urbain, comme s'il ne faisait plus corps ni avec son environnement, ni avec son identité. Ainsi, l’effacement de l’individu se manifeste à travers la relation trouble que le narrateur entretient avec une ville qui, à l’image de son état intérieur, paraît désorientée et fragmentée.
En effet, l’espace urbain devient le reflet de la déstructuration intérieure du personnage, puisqu'il se perd physiquement et mentalement dans Alger. La ville, telle qu’elle est décrite dans le roman, apparaît comme un espace labyrinthique, désordonné et imprévisible, à l’image des pensées du narrateur. Un extrait clé illustre cette confusion :
« Je ne sais plus qui je suis. Je me perds dans les rues d'Alger comme dans les méandres de mon esprit, sans trouver d'issue ni de repères. Les murs délabrés, les ruelles tortueuses me renvoient à ma propre confusion, à mon propre effacement » (Toumi, 2016, p. 42).
Ainsi, Alger n’est pas seulement un décor, mais devient un miroir de l’effacement personnel du protagoniste. Les ruelles déstructurées, les murs délabrés et les quartiers abandonnés participent à cette métaphore de la désorientation. Un autre extrait vient renforcer cette idée :
« Chaque rue est une impasse, chaque détour m’éloigne un peu plus de moi- même. Alger, telle que je la parcours, semble m'engloutir peu à peu, comme une vague déferlante » (Toumi, 2016, p. 54).
De plus, cette représentation de la ville fait écho à une Alger postcoloniale et post-guerre civile, marquée par des contradictions profondes, où les cicatrices du passé cohabitent avec des aspirations modernistes inachevées. Ce contexte urbain en crise se superpose à la crise intérieure du narrateur, amplifiant son sentiment de non-appartenance.
Par ailleurs, l’effacement identitaire du personnage est intimement lié à la mémoire urbaine. L’effacement du narrateur ne se limite pas à son propre vécu, il s’inscrit également dans une dimension collective liée à l’histoire d'Alger. En effet, le poids de cette mémoire pèse sur le narrateur, l’empêchant de se définir dans le présent. Il est prisonnier des réminiscences d’une ville marquée par la colonisation et la guerre d’indépendance, et les transformations actuelles ne font que renforcer son sentiment d’égarement.
« La ville est un fardeau, elle porte en elle les fantômes de son passé et les stigmates de ses luttes. Je ne me retrouve ni dans ses rues anciennes, ni dans ses constructions nouvelles. Tout me rappelle que je ne suis qu’une ombre parmi des ruines, une trace effacée sur une carte en perpétuel mouvement » (Toumi, 2016, p. 78).
Dans ce passage, Alger est décrite comme une ville hantée par son passé, tout en étant désordonnée par les forces de la modernisation. Le narrateur se sent « une ombre parmi des ruines », ce qui accentue son propre effacement dans un environnement urbain qui ne lui offre aucun repère stable. En somme, l’urbanité devient le théâtre d’une perte identitaire, nourrie par l’impossibilité de se projeter dans l’avenir ou de s’ancrer dans un présent brouillé par le passé.
L’auteur fait également le lien entre l’effacement de l’individu et son effacement social et psychologique, comme en témoigne ce passage :
« Je traverse les rues, invisible aux yeux de tous. Comme si je n'existais plus, ou plutôt, comme si je n'avais jamais existé. La ville me rejette, tout comme je me rejette moi-même » (Toumi, 2016, p. 83).
En réalité, l’approche de Samir Toumi dans sa représentation d’Alger comme espace d’aliénation a été largement saluée. Karima Lazali, dans son analyse de L'Effacement, souligne que Toumi « fait d’Alger un personnage à part entière, dont les blessures architecturales et historiques exacerbent la détresse psychologique du protagoniste » (Lazali, 2017). La ville, souvent perçue dans la littérature algérienne comme un symbole de résistance ou d’appartenance, devient ici un lieu d’effacement et d’incapacité à se retrouver. Alger n’est plus protectrice, elle étouffe.
De plus, la critique a relevé que la ville, utilisée pour interroger l’identité algérienne contemporaine, ne sert plus de refuge pour ses habitants, mais devient un espace qui engloutit toute trace personnelle, notamment chez ceux qui, comme le narrateur, sont incapables de se projeter dans l’avenir. Mohamed Lakhdar Maougal affirme ainsi que « L’Effacement renvoie à une lecture profonde des effets de la transition d’un espace urbain en mutation constante, qui ne laisse plus de place pour l’ancrage des mémoires individuelles » (Maougal, 2018). Alger devient alors le symbole d’un étouffement identitaire.
En somme, le narrateur tisse un lien inextricable entre l’effacement de l’individu et la transformation de l’espace urbain. Alger, ville en perpétuelle métamorphose, reflète la crise identitaire du narrateur, qui se perd aussi bien dans ses rues que dans sa propre existence. À travers des descriptions poétiques et détaillées de la ville, l’auteur illustre comment un espace urbain fragmenté et chargé d’histoire peut devenir un vecteur d’aliénation et de perte de soi, offrant peu de possibilités de réinvention.
2. L’espace urbain et la mémoire collective
Alger n'est pas simplement un cadre de l’action, mais un véritable acteur incarnant les blessures et la mémoire collective de l'Algérie. Chaque rue, chaque bâtiment témoigne des différents épisodes qui ont façonné le pays : colonisation, guerre d’indépendance, et plus récemment, guerre civile. Cette mémoire urbaine omniprésente devient un fardeau pour le protagoniste, qui, en pleine crise identitaire, se sent étranglé par cet héritage du passé. Son errance à travers Alger traduit à la fois son incapacité à s’ancrer dans le présent et sa difficulté à se projeter dans l’avenir.
Un extrait révélateur de ce poids historique se trouve dans ce passage :
« Je ne marche pas seulement dans les rues d’Alger, je marche sur des souvenirs. Chaque pas est une réminiscence, une évocation de ce que la ville a traversé, et moi avec elle » (Toumi, 2016, p. 61).
Alger est ainsi représentée dans le roman comme une ville-mémoire, source de déstabilisation personnelle. Cet espace urbain, véritable palimpseste, mêle les traces du passé et les projets avortés du futur. Dès les premières pages, le narrateur décrit une ville figée dans le temps, hantée par ses souvenirs, et incapable d'évoluer. L’espace urbain devient alors le symbole d’une stagnation paralysante :
« Chaque bâtiment, chaque rue est un souvenir figé, une histoire non résolue. Alger est une ville en deuil de son propre passé, incapable d'avancer, prisonnière de ses fantômes » (Toumi, 2016, p. 65).
Cette stagnation, soulignée par le terme « souvenir figé », empêche toute évolution, enfermant la ville et ses habitants dans une histoire traumatique non résolue. Le narrateur, englué dans ce passé omniprésent, se sent englouti par cet espace saturé de souvenirs.
Enfin, la juxtaposition de l’ancien et du moderne accentue la tension identitaire à Alger. Alors que les vestiges du passé coexistent avec des tentatives de modernisation inachevées, le narrateur, tout comme la ville, semble écartelé entre tradition et modernité. Un passage illustre cette tension urbaine :
« Alger est une ville écartelée entre ses ruines et ses tours de verre inachevées. C’est un lieu où l’ancien refuse de céder la place au nouveau, et où le futur semble toujours hors de portée » (Toumi, 2016, p. 102).
Cette tension traduit la difficulté pour le narrateur de se réinventer dans une ville où les traces du passé sont omniprésentes, tandis que la modernité demeure incomplète, inachevée.
3. L’espace comme lieu de résistance et de renouveau
Dans L'Effacement, Samir Toumi présente la ville d'Alger comme un personnage à part entière, chargée de mémoire historique et traversée par des moments de rupture et de transformation. Le protagoniste, un homme anonyme en quête de sens dans une ville qui lui échappe, découvre peu à peu que cet espace urbain, d'abord oppressant, peut se transformer en un lieu de résistance et de renouveau. Le thème de l’espace urbain joue ainsi un rôle essentiel dans la construction identitaire du personnage principal, dont l'évolution à travers la ville incarne une métaphore de la réinvention personnelle au sein d'une société marquée par un passé complexe.
Au début du récit, Alger est décrite comme un espace de souffrance et de perte. Chaque rue, chaque bâtiment semble porter les cicatrices laissées par l’histoire. Le protagoniste ressent une profonde malaise dans cette ville qu’il ne reconnaît plus et où il se sent étranger, malgré son appartenance à ce lieu
« Alger est pour moi une étrangère. Ses rues, que je connaissais par cœur, me semblent aujourd'hui étrangères et inaccessibles, comme si la ville elle-même m’avait rejeté » (Toumi, 2016, p. 23).
Cette ville est perçue comme un espace de désorientation où le personnage se perd, non seulement physiquement, mais aussi mentalement, en proie à une crise identitaire. Il exprime ce malaise avec une intensité frappante :
« Je me perds dans Alger, comme je me perds dans mes pensées. Chaque pas dans la ville est un pas vers l’oubli de moi-même » (Toumi, 2016, p. 42). Cet extrait met en lumière la manière dont la ville d'Alger reflète l'état intérieur du narrateur. La ville devient un labyrinthe dans lequel il s'égare, incapable de retrouver ses repères dans une cité défigurée par des changements politiques, sociaux et économiques. Le poids de la mémoire collective, incarné par les traces visibles des événements historiques, pèse sur lui, l'empêchant de se projeter dans l'avenir. La ville se transforme ainsi en une prison de souvenirs douloureux, comme il le décrit :
« Alger est une ville en deuil, une ville qui porte en elle les stigmates de son histoire. Chaque pierre raconte une histoire que je préférerais oublier » (Toumi, 2016, p. 55).
Alger, en tant qu'espace saturé de mémoire traumatique liée à la colonisation, à la guerre d'indépendance et à la guerre civile, devient pour le protagoniste un lieu où la mémoire collective écrase l'individu, empêchant toute forme d'émancipation personnelle.
Cependant, au fur et à mesure que le récit progresse, le narrateur commence à percevoir Alger différemment. Les espaces oppressants se transforment en lieux de réflexion et de réinvention. Cette transformation s’incarne notamment dans des lieux symboliques de la ville qui offrent une échappée face à la douleur et à l'effacement. La baie d'Alger, par exemple, avec son ouverture sur la mer, devient un espace de renouveau pour le narrateur.
La première fois qu’il se rend à la baie, il ressent une sensation de liberté et de légèreté qui contraste avec l'étouffement ressenti dans le reste de la ville : « Face à l’immensité de la mer, je ressens une légèreté nouvelle, comme si les chaînes de la ville se desserraient enfin. La mer me rappelle qu’il existe un monde au-delà de ces rues étroites, un ailleurs possible » (Toumi, 2016, p. 121).
La baie d'Alger devient ainsi un symbole de liberté et de renouveau pour le narrateur. Cet espace ouvert, en contraste avec les ruelles confinées de la ville, lui permet de s'évader mentalement et physiquement. Il découvre un ailleurs possible, une échappée qui lui permet de réinventer son rapport à la ville et à lui-même. Ce passage montre une transformation notable dans son interaction avec l'espace urbain : là où il percevait oppression et malaise, il découvre désormais des possibilités de réinvention.
Au fil de cette évolution, Alger cesse d’être simplement un lieu d’effacement pour devenir un espace de résistance. Le narrateur, plutôt que de se soumettre au poids de la mémoire collective, commence à découvrir des lieux en marge, des espaces cachés qui échappent aux symboles de l'histoire traumatique. Ces endroits, souvent discrets et oubliés, deviennent des refuges où il peut réinventer son identité loin de l'emprise du passé collectif :
« Il existe dans Alger des endroits qui échappent à la mémoire, des lieux où le poids du passé ne pèse plus sur mes épaules. Ces endroits, discrets et oubliés, me permettent de respirer à nouveau » (Toumi, 2016, p. 140).
Ces « endroits oubliés » représentent des espaces de résistance, non seulement contre la mémoire collective qui écrase le protagoniste, mais aussi contre l'effacement identitaire qu'il subit tout au long du roman. En s'appropriant ces espaces, il parvient à se reconnecter à lui-même et à reconstruire une part de son identité perdue. Ces lieux incarnent également une forme de résilience face à la déstructuration de l’espace urbain provoquée par les transformations historiques et politiques.
En fin de compte, Samir Toumi utilise l’espace urbain d'Alger comme une métaphore de la quête identitaire du protagoniste. À travers ses interactions avec les différents lieux de la ville, le lecteur assiste à une transformation progressive de son rapport à lui-même. Alors que la ville est d’abord perçue comme un lieu d’effacement et d'oppression, elle devient peu à peu un espace de redécouverte et de réinvention.
Cette dynamique entre oppression et renouveau dans l’espace urbain reflète également les tensions identitaires au sein de la société algérienne contemporaine. Alger, en tant qu’espace saturé de mémoire, devient le lieu de tous les conflits historiques, mais aussi un espace où des moments de réinvention sont possibles. Toumi explore ainsi les enjeux complexes de la mémoire collective et de l’identité personnelle à travers la représentation de l’espace urbain:
« En redécouvrant les ruelles d’Alger, j’ai redécouvert une part de moi- même. L’histoire de la ville est aussi la mienne, mais c’est à moi de choisir comment y appartenir » (Toumi, 2016, p. 162).
Les études littéraires sur L’Effacement soulignent souvent ce double rôle de l’espace urbain dans la quête identitaire du protagoniste. Karima Yousfi analyse que « la ville d’Alger, dans L’Effacement, est un espace paradoxal où l’histoire collective et la mémoire individuelle se heurtent constamment. Alger est à la fois un lieu d’effacement et un espace de résistance » (Yousfi, 2020). Cette analyse met en évidence la manière dont l’espace urbain, bien qu'empreint de mémoire collective, permet au protagoniste de se réinventer en marge de celle-ci.
De même, la baie d’Alger, en tant qu’espace ouvert sur la mer, symbolise la possibilité de réinvention pour le narrateur. C’est en s’éloignant du cœur historique de la ville, saturé de mémoire, qu’il parvient à envisager un avenir différent. Par conséquent, l’espace urbain, loin d'être un lieu figé dans le passé, devient un espace dynamique où la résistance et le renouveau sont possibles.
En général, l’espace urbain dans L’Effacement joue un rôle central dans la construction identitaire du protagoniste. Alger, à la fois symbole d’oppression et d’espoir, incarne les tensions sociales et historiques qui traversent la société algérienne contemporaine. Le protagoniste, d’abord écrasé par la mémoire collective, parvient à découvrir des espaces de résistance et de renouveau où il peut se réinventer. Samir Toumi explore, à travers cette représentation de l’espace urbain, les enjeux identitaires de l’Algérie postcoloniale tout en offrant à ses personnages une perspective de réinvention et de résilience face à l’histoire collective.
Conclusion
Pour conclure, dans L’Effacement de Samir Toumi, l'espace urbain d'Alger devient un terrain complexe, à la fois oppressant et libérateur, un lieu où la mémoire collective rencontre la quête individuelle d'identité. Le protagoniste anonyme incarne une génération marquée par les traumatismes historiques, notamment le colonialisme, la guerre d’indépendance et la guerre civile des années 1990, qui continuent à modeler le paysage psychologique et physique de la ville. Dès le début du roman, Alger est perçue comme une ville défigurée, imprégnée d’un poids insoutenable, où chaque rue, chaque bâtiment, renferme les stigmates d'un passé non résolu. Cette ville devient pour le narrateur un espace d'effacement de soi, un miroir des tourments intérieurs qu'il traverse.
Cependant, au fil de son parcours, le protagoniste découvre que cet espace urbain, loin de n’être qu’un lieu d’aliénation, peut aussi devenir un espace de résistance et de renouveau. À travers ses errances dans la ville, il trouve des lieux de répit, comme la baie d'Alger, qui lui offrent une ouverture vers l'extérieur, une échappée possible face à l'étouffement de la mémoire collective. Ce basculement dans la perception de l’espace urbain reflète la lutte intérieure du personnage entre son désir de fuir une mémoire accablante et sa quête de sens dans une société en pleine transformation. Alger, qui au début semble être un lieu de stagnation et de douleur, devient peu à peu un espace où l’individu peut se réinventer.
Le thème de la mémoire collective, omniprésente dans la ville d'Alger, illustre comment l’histoire continue de peser sur les épaules des générations actuelles, souvent incapables de se projeter dans l’avenir en raison du fardeau des traumatismes passés. Pourtant, à mesure que le protagoniste redécouvre certains lieux de la ville, souvent en marge ou éloignés des symboles historiques dominants, il parvient à se soustraire à cet étouffement et à entrevoir des possibilités de renouveau. L’espace urbain, tel que le dépeint Samir Toumi, est ainsi un espace en tension, où la mémoire et le renouveau se confrontent constamment. C’est dans cette confrontation que le protagoniste trouve finalement des moments de résistance, des lieux de redéfinition de soi.
En définitive, L’Effacement est une réflexion subtile sur la manière dont l’espace urbain peut à la fois être un lieu de mémoire traumatique et un espace de transformation personnelle. Le parcours du protagoniste à travers Alger est une métaphore de sa quête identitaire, un cheminement intérieur qui trouve son expression dans les lieux qu’il traverse et redéfinit. La ville d'Alger, tout en étant saturée par le poids de l’histoire, offre également des espaces de renouveau, où l'individu peut résister à l’effacement et se réapproprier son identité.
Ainsi, Samir Toumi réussit à capturer, à travers ce roman, les enjeux profonds de l'identité contemporaine dans une Algérie encore hantée par son passé. L'espace urbain, à la fois lieu de mémoire et de réinvention, devient un symbole de la tension entre l'effacement et la résistance. Alger, avec ses contradictions, est à l'image de ses habitants : une ville à la fois fragile et résiliente, marquée par l'histoire mais toujours en quête d’un nouveau souffle. Le protagoniste, en redécouvrant cette ville, découvre également une part de lui-même qu’il croyait perdue, une part capable de résister aux fantômes du passé et d’envisager un avenir différent. Cette transformation, incarnée dans l’espace urbain, fait de L’Effacement un roman profondément contemporain, qui interroge les liens complexes entre mémoire, identité et renouveau.
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